Jean-Pierre Bauer : L'enfant et les langues
À propos d’un cas de bilinguisme
OooooCe sont les adultes qui parlent des enfants. Et c’est comme adulte que l’on se souvient de l‘enfant que l’on a été. La psychanalyse a montré que la remémoration de l’enfance dépasse et déborde de loin tout ce qu’une observation « objective » de l’enfant peut révéler. Car l’enfant se méconnaît lui-même comme « enfant», et surtout il ne peut dire lui-même, pas plus qu’aucun observateur ou psychothérapeute, ce qui s’organise, ce qui prolifère de tout ce qu’il perçoit et entend sans le savoir, et qui plus tard va infléchir son existence. C’est pourquoi il est tellement difficile, voire impossible de fonder une pédagogie à partir de la psychanalyse. Car la psychanalyse « voit» l’enfant du lieu de l’adulte. A la limite elle voit l’enfant comme le « fantasme » de l’adulte, en tant qu’il se voyait lui-même en référence à l’adulte et en tant que l’adulte, était son fantasme. Et c’est pourquoi il n’y a pas vraiment de «psychologie de l’enfant ».
OooooCela est vrai également au niveau le plus simplement descriptif du « comportement» de l’enfant, et en particulier du « langage de l’enfant ». Le « psychologue » risque toujours d’enfermer l’enfant dans une « Enfance » fantasmée par l‘adulte. C’est là une aporie difficile à dépasser, mais qui commande au moins que l’on se laisse entraîner dans cette subversion du sens qui spécifie toute «psychologie» qui part du sujet parlant. Car dès que l’enfant parle, il est déjà capable de combiner, de différencier à sa guise tout ce qu’il entend et perçoit, en deça de tout comportement observable. S’il est tellement capable de jouer, il est aussi capable de « déjouer » toute interprétation, tout enchaînement signifiant. Son monde est déjà « ailleurs », et c’est de cet « ailleurs » qu’un jour il parlera de son enfance, pour dire enfin ce qu’il savait sans le savoir, et que sans doute personne ne pouvait savoir.
OooooL’observation que nous allons présenter, illustre ces remarques. Elle montre que l’enfant dont il sera question n’a pu découvrir que bien plus tard ce qui se structurait entre 5 et 10 ans de sa relation aux langues, et par là même de sa relation à la parole en tant que telle. Tout un réseau de significations s’est peu à peu déployé autour de la nécessité dans laquelle il s’est trouvé d’apprendre une langue étrangère qui lui était imposée, comme seule autorisée à l’école. Cet enfant a parlé à l’âge normal, et ne s’est signalé par aucun trouble de la parole. Mais son histoire a montré une série de relations conflictuelles avec différentes langues et avec certaines disciplines dérivées de ces langues. Au début de ses difficultés aucun « test» n’aurait pu les dévoiler; il aurait fallu laisser parler l’enfant, mais lui-même voilait son symptôme, de sorte qu’il aurait fallu deviner. C’est donc qu’en deçà des troubles de la parole, et notamment de ceux qui se manifestent lors de la scolarisation, certains troubles de la relation à la parole s’élaborent en silence, à partir du sens que prend pour l’enfant l’acte même de parler.
OooooDans cet article nous ferons quelques remarques sur les effets tardifs chez un adulte, des conflits rencontrés comme enfant entre deux langues. Il s’agit d’un problème de bilinguisme; or le bilinguisme n’a pas nécessairement des effets conflictuels, mais dans de nombreux cas il introduit dans la parole du sujet, un partage, voire une cassure ou une opposition violente, surtout quand le face à face des deux langues est sous-tendu par un conflit socio-économique (par exemple dans le cas des travailleurs immigrés), ou même un conflit armé (par exemple une guerre qui a pour enjeu des minorités linguistiques). C’est d’un tel cas rencontré dans notre pratique dont il sera maintenant question.
OooooLe problème de bilinguisme auquel s’est heurté K. s’est noué bien avant sa naissance. Sa mère était parisienne, mais son père né en Alsace durant l’annexion allemande de 1870 à 1918, avait dû subir un changement linguistique et culturel d’une manière particulièrement contraignante. De langue maternelle alsacienne (dialecte) et de formation scolaire allemande, il n’apprit le français qu’au début de ses études universitaires au sortir de la guerre de 14-18. Bien avant ces problèmes il avait manifesté son intérêt pour les langues par des études de «philologie», qu’il restreignait cependant à l’allemand, au grec et au latin. Pourtant c’est vers les sciences qu’il s’est tourné, et vers la biologie en particulier.
OooooEntre les deux guerres, apparemment parfaitement adapté à la coexistence chez lui des deux cultures, il acheva ses études à Paris, mais milita en Alsace pour la conservation d’une culture régionale (notamment la littérature en dialecte et en langue allemande). Cette coexistence culturelle révéla chez lui un certain clivage entre une langue « intellectuelle » (le français) et une langue « affective », «populaire» (le dialecte alsacien et l’allemand).
OooooC’est dans ce contexte que naquit K., et ses premières années ne furent que lointainement marquées par ce clivage linguistique. A noter que sa mère ne lui fit pas fréquenter l’école maternelle, et lui apprit elle-même à lire et à écrire, de sorte qu’il maîtrisait déjà bien le langage écrit, lorsqu’il vint en Alsace occupée par les Allemands après la défaite de 40, à l’âge de 5 ans.
OooooEn effet, son père, sollicité par sa famille restée en Alsace et par des propositions professionnelles, se laissa tenter par le retour en Alsace à ce qu’il considérait comme sa langue naturelle. C’est ainsi qu’il scotomisa complètement les effets de ce retour : sa femme ne s’habitua et n’accéda jamais à l’allemand, et toute sa famille continua à parler le français, dans une sorte d’isolement linguistique, sans lien avec ce qui se passait au dehors.
OooooK. parlait donc le français en famille, dans la plus complète ignorance de l’allemand, son père ne faisant aucun effort pour introduire cette langue, ne serait-ce que de temps en temps, dans les conversations familiales courantes. Scolarisé pour la première fois dans l’école allemande, K. le fut donc dans une langue avec laquelle il n’avait jamais eu le moindre contact, et dans une institution où il lui était rigoureusement interdit de parler sa langue maternelle.
OooooCette phase dura quatre ans et fut soulignée par une scène qui a beaucoup marqué K. Un jour, après deux ans d’école allemande, durant lesquels il avait appris à lire et à écrire en gothique, il vit. suspendu à un mur de la classe, un panneau sur lequel était inscrit un alphabet latin. A la vue de cet alphabet il éprouva une émotion intense, et l’espoir très vif que cet alphabet et peut-être la langue qui lui correspondait à ses yeux, c’est-à-dire le français, soient bientôt enseignés. Ainsi pourrait-il devenir le meilleur élève dans cette écriture et cette langue qu’il connaissait et que ses camarades ignoraient. Durant toute l’heure, il ne cessa de regarder l’alphabet, espérant que ses camarades allaient deviner le lien qui l’unissait à ces lettres, qui étaient les lettres de sa langue et qui étaient donc quelque peu son domaine.
OooooCependant dans les jours qui suivirent, il ne fut jamais question de cet alphabet : on continua à lire et à écrire en gothique. Durant quelques semaines le panneau resta fixé, inutilisé au mur de la classe, puis il disparut.
OooooEn été 1944, K. avait enfin réussi à devenir un élève moyen; il n’espérait pas plus. Il parlait un mauvais allemand mêlé d’alsacien avec ses camarades de classe. Dans sa famille il continuait à parler exclusivement le français, sa mère n’ayant jamais appris un mot d’allemand.
OooooVint alors la libération, qui signifiait le retour et le triomphe de la langue française. K. fut admis en sixième, mais il se retrouva dans les classes « transitoires » qui regroupaient les élèves dialectophones, faibles en français, car entre temps il avait perdu le peu qu’il savait de l’écriture, de l’orthographe et de la grammaire française. Il reporta donc sur l’écriture du français ses difficultés d‘apprentissage de la langue « dominante ». Il tenta d’y remédier en apprenant par cœur l’orthographe des mots d’un dictionnaire, en commençant par la lettre A.
OooooDe cette relation conflictuelle avec le français et l’allemand, K. avait retiré une première difficulté dans l’apprentissage de l’allemand oral, langue dominante et langue de communication sociale, puis une seconde difficulté dans l’apprentissage du français écrit. A l’opposé, durant l’hiver 44-45, il avait appris très rapidement au contact des soldats américains, un anglais très suffisant pour la conversation courante.
OooooLongtemps après, au cours de son analyse, K. ne cessa de rencontrer cette opposition des deux langues. comme le signe d’une conjonction impossible, d’une cassure irréductible, qui ne pouvaient que le laisser dans l’entre-deux. De plus, cette opposition se reporta sur divers domaines et disciplines dérivés des différentes langues.
OooooCertes, toutes sortes de déterminations signifiantes ont contribué par ailleurs à préparer le terrain de cette structuration linguistique. De plus, il est évident que les événements historiques et politiques ont dramatisé ce problème de bilinguisme. Cette observation montre cependant certaines modalités de l’investissement des langues dans le bilinguisme.
OooooElle montre l’importance de la relation aux langues, comme matérialité du symbolique, au sens lacanien du terme, dans les différents modes d’identification du sujet. Car ce qui caractérise cette observation, c’est le réseau des oppositions des langues et des systèmes dérivés, et les difficultés d’identification du sujet pris dans ce réseau du système langagier. De plus, ces conditions linguistiques favorisèrent l’investissement des langues, c’est-à-dire leur accès à un statut d’objet, à la limite leur corporalisation.
OooooNous avons retrouvé ces problèmes dans divers cas. Dans les situations de conflits linguistiques ou culturels, nous avons le plus souvent rencontré ces deux processus généraux : d’une part l’investissement d’une langue ou d’un système comme «objet primordial», d’autre part l’utilisation d’une langue ou d’un système comme défense contre d’autres systèmes verbaux, menaçant la parole. Le cas du « schizo et des langues »* est de ce point de vue exemplaire.
*Louis Wolfson. le schizo et les langues, Gallimard. Paris.
OooooL’intérêt pratique de telles observations réside dans l’importance à accorder lors de l’orientation d’un enfant, ou dans les difficultés scolaires, aux investissements conflictuels que l’enfant peut opérer sur les différentes « matières » des études, qui peuvent être appréhendées comme des langues ou des systèmes, et par là représenter l’ordre symbolique, et manifester les problèmes de la symbolisation. Il va de soi en effet qu’une « matière » scolaire n’est pas seulement un domaine de connaissance auquel l’enfant accède plus ou moins, selon ses « facultés intellectuelles », ses « dons », ou sa paresse. C’est aussi un domaine plus ou moins investi par l’enfant, selon la signification inconsciente qui met en jeu son désir. C’est donc à la fois un système de règles où l’enfant retrouve la loi du symbolique, et un langage où peuvent se déployer sa subjectivité et son « style » personnel, comme jeu réglé et maîtrisé.
OooooExaminons maintenant de plus près le réseau des relations de K. avec les langues et les sciences des langues, tel qu’il s’est peu a peu élaboré.
I. SIGNIFICATION GÉNÉRALE DU FRANÇAIS ET DE L’ALLEMAND
OooooLe français et l’allemand ont regroupé peu à peu pour K. une série de significations opposées, qui ne cesseront de répéter une cassure dans son système de représentations, et en conséquence dans ses choix d’objet et dans son identité.
OooooLe français, parlé exclusivement dans sa famille restreinte à ses parents et à sa fratrie, représenta d’abord l’isolement et l’exil de sa famille ; le français fut donc d’abord la marque de sa différence et de sa séparation des autres, du fait de ses origines. Le français s’opposait ainsi au monde extérieur, représenté par les deux langues germaniques : l’allemand et le dialecte alsacien. L’allemand fut d’abord la langue de l’école, donc la langue culturelle, c’est-à-dire la langue du monde extérieur comme espace de déploiement de l’intelligence, du savoir, du « bien parler », et à la limite comme possibilité de l’œuvre de parole. Quant à l’alsacien il représenta l’entourage populaire, villageois, la quotidienneté ; il signifie donc à la fois l’exil, en tant que langue étrangère, et l’enracinement possible à la communauté de la langue.
OooooCependant les deux langues partageaient également la famille élargie aux familles des deux parents, ce qui eut pour effet de souligner, mais aussi de masquer en termes de langues, les conflits entre les parents et au-delà entre les familles. C’est ainsi que chacun des deux parents fut comme imprégné aux yeux de K. par sa langue originelle, déterminant deux « styles » différents, c’est-à-dire deux ensembles homogènes de qualités différentes, dont K. n’aurait pu dire en quoi elles consistaient, comme si au-delà des différences « père-mère », au-delà de ce qui pouvait déjà être perceptible comme traits de caractère, quelque chose de l’ordre d’une « germanité » d’un côté, et d’une « francité » de l’autre, marquait chacun des deux parents. Et dans ses relations avec son père et avec la famille de son père, qui avaient souffert d’un changement linguistique brutal, K. ne cessa de chercher sa place et son identité par rapport à cette « germanité » et cette « francité ». Cette question de l’identité était évidemment sous-tendue et accentuée par le fait que le père était porteur de la langue du monde extérieur. L’accès à ce monde extérieur passait donc par la maîtrise de la langue du père, comme étrangère à la mère et à la limite comme inassimilable à la mère.
OooooL’opposition des deux langues n’é ait pas sans retentir sur la différence des sexes. La « francité » comme « style » de la mère, avait globalement un caractère féminin, de même que la « germanité » un caractère masculin. Et à travers le conflit des deux langues, conflit évidemment dramatisé par la guerre, ce qui était masculin imprégné de l’allemand, était valorisé par rapport au féminin « marqué » par le français et donc appréhendé d’une manière ambiguë du fait de la défaite suivie du régime de Vichy. Le français féminisé évoquait une certaine « clôture » autour de l’origine, alors que l’allemand sur le versant masculin indiquait une ouverture, un dépassement possible de l’origine, mais en rupture violente avec l’origine maternelle. Enfin, tout ce que K. pouvait déjà percevoir des préjugés opposant hommes et femmes dans un milieu familial et social donné, diversifiaient encore les caractéristiques du français et de l’allemand. L’imaginarisation de la différence des deux langues et l’imaginarisation de la différence des sexes se renforçaient mutuellement.
OooooL’opposition des deux langues avait également des effets sur la représentation de l’espace et en particulier sur l’appréhension du paysage. Le paysage français était mémorisé comme « français », comme si les caractéristiques phoniques du français imprégnaient et organisaient le paysage. Quant au paysage alsacien apparenté à l’allemand, il était « vu » lui aussi comme imprégné de cette « germanité » représentée par la langue allemande. Enfin l’Allemagne était imaginée comme lieu de la germanité parfaite, de sorte que son paysage ne pouvait que répondre par « sa pureté » à la pureté de la langue. Ces différences et ces spécificités introduisaient la discontinuité dans l’espace, qui apparaissait constitué de mondes hétérogènes.
OooooAvant tout exercice de traduction dans le cadre des études, K. saisit à travers ces figures imaginaires des relations entre la langue et l’espace, l’impossibilité de la traduction; on ne pouvait jamais dire la même chose en français et en allemand, parce qu’en disant les choses en allemand, on les transfigurait, on les imprégnait de l’allemand, et comme les sons de la langue demeuraient en quelque sorte intraduisibles, la langue étrangère soulignait des différences, voire des hétérogénéités irréductibles, ce qui excluait aussi tout mélange des langues. Le français et l’allemand s’opposaient enfin par rapport au temps. Le français était la langue de l’enfance, des jeux et des facilités de l’enfance… L’allemand était la langue de l’âge adulte, donc «sérieux» et difficile. Le français devait donc être dépassé par l’allemand, et impliquait un renoncement douloureux, qui ne cessait de se rappeler dans les difficultés d’apprentissage.
II. CARACTÉRISTIQUES MATÉRIELLES DES LANGUES
ooooL’opposition des deux langues était soulignée par certaines caractéristiques matérielles qui accentuaient encore leur imaginarisation. Ne présentant évidemment aucune difficulté de prononciation en français, K. ressentait cette langue comme adaptée à sa bouche, et donc proche de son corps. En allemand les difficultés de prononciation accentuaient, c’est le cas de le dire, l’identité étrangère de cette langue, hétérogène à la bouche et au corps. C’était comme s’il fallait forcer sa bouche pour la parler. Par ailleurs, le français n’était pas une « langue » que K. avait dû apprendre. En tant que langue maternelle, le français avait originellement été identifié à la parole, de sorte que ce n’était pas le français que K. avait appris, mais à parler. Et en « apprenant» à parler, il avait « glissé » dans le français. Originellement le « français », comme langue maternelle, n’avait pas été une « matière » scolaire, n’avait pas été objet d’étude, ce qui aurait fait émerger sa matérialité et son extériorité de langue, et par là sa distance par rapport au sujet. Au contraire, l’allemand comme langue à apprendre avait présenté d’emblée ces deux caractéristiques fondamentales qui furent riches en conséquences: elle se présenta d’abord dans sa matérialité phonétique ; elle se révéla ensuite comme système, avec ses règles grammaticales et son déploiement lexical. Le français, langue familière et proche, et à la limite sans extériorité, révéla cependant secondairement une extériorité et une étrangeté pour les autres, par l’intermédiaire des autres, ceux de l’extérieur, avant même que K. se retourne lui-même sur sa langue. Quant à l’allemand, il devait connaître une évolution inverse, puisque d’extérieur et d’étranger, il devait devenir la langue dans laquelle K. devait pénétrer pour retrouver une nouvelle familiarité, une nouvelle « intériorité » de la parole. En apprenant l’allemand dans les conditions où il était, il n’apprenait rien de nouveau, il ne faisait que réapprendre à parler, mais en découvrant à chaque pas la lourde matérialité de la langue. sa dureté pour la bouche et l’oreille. De sorte que langue apprise de l’extérieur et peu à peu maîtrisée, elle garda cependant une extériorité et une étrangeté irréductibles.
OooooDe ne pas se l’entendre prononcer, K. se « voyait» dans le français: au contraire l’allemand. qu’il était impossible de ne pas entendre, était hors de lui. se déployant loin de lui. Aucune maîtrise ne pourrait jamais effacer ce rapport d‘extériorité. En français, il avait l’impression d’être à l’origine de sa parole et d’imposer son vouloir-dire au dire: en allemand, il devait soumettre son vouloir-dire aux règles d’un dire étranger.
OooooPeu à peu cependant, par différenciation à partir des difficultés en allemand. certaines caractéristiques matérielles du français se dévoilèrent à K. Le français s’opposait d’abord à l’allemand par sa sonorité et sa tonalité nettes et claires. Il apparaissait à K. comme constitué de sons purs. Les voyelles dominaient nettement les consonnes, qui ne constituaient que les contours bien tracés, mais discrets des syllabes. Au contraire, l’allemand se perdait dans les demi-tons, les « mélanges » de sons, et même les dissonances. Les consonnes dominaient les voyelles, et consonnes et voyelles semblaient se heurter ou mal s’ajuster. Le rythme du français était rapide, soutenu, harmonieux, le rythme de l’allemand semblait irrégulier, sans mesure, et parfois il se perdait dans une masse sonore informe. Toute une imaginarisation des deux langues s’élaborait ainsi, à partir des difficultés d’apprentissage de l’allemand, qui soulignait leur matérialité, leur donnait corps, les faisait objets de la bouche et des oreilles, et enfin de la main. K. en vint ainsi à « voir » les deux langues. Le français était une succession de couleurs vives, bien différenciées, et se succédant harmonieusement. L’allemand avait des couleurs en demi-teintes, incertaines, mélangées, se perdant dans le clair-obscur. Il y avait de nombreuses zones incolores, en noir et blanc au niveau des consonnes difficiles a prononcer, qui constituaient des noyaux d’opacité qui brisaient le déploiement coloré de la parole.
OooooK. élabora ainsi un rapprochement entre les langues et les images. Au français correspondaient les images stylisées (caricatures, schémas, affiches, bandes dessinées), aux contours nets, comme tracés sans interruptions: à l’allemand correspondaient les images réalistes. où tous les détails étaient représentés, ainsi que les effets d’ombre et de lumière. Les « images du français » semblaient vouloir simplifier et alléger les choses, et les faire émerger dans la lumière ; les « images de l’allemand » semblaient vouloir représenter l’épaisseur des choses, leur réalité opaque, leurs détails invisibles, et enfin l’ombre toujours présente. Les images de l’allemand finissaient par perdre leur caractère d’images pour se rapprocher des choses, faisant ainsi disparaître tout plaisir de l’image.
OooooDu fait de l’âge de K. lors de ce changement linguistique, le français demeurait la langue des livres d’enfants, avec leurs illustrations spécifiques, et leurs histoires d’enfants: contes, bandes dessinées, histoires d’animaux,… alors que l‘allemand, du fait de l’idéologie de cette époque, se présenta bientôt comme la langue des livres d’école, ou des livres de légendes, qui signifiaient déjà le sérieux et la violence des origines, soulignés par les illustrations d’un passé guerrier.
OooooLa différence des écritures ne pouvait que renforcer encore l’opposition des deux langues. L’écriture latine était perçue comme régulière, arrondie, symétrique, simple ; l’écriture gothique apparaissait irrégulière, anguleuse, dissymétrique, inutilement compliquée. L’écriture latine évoquait la douceur et la légèreté, l’écriture gothique la dureté et la sévérité ; et même quelque chose de tranchant et de blessant.
OooooA noter que par rapport à tous ces effets imaginaires, l’anglais fut une langue « sans qualités », sans autre signification que la communication facile. Ce fut une langue-tiers, « hors-douleur », marquée par la neutralité de sa pure fonction de communication.
III. LA SCÈNE DU RETOUR DE L'ALPHABET LATIN
OooooOn peut considérer que cette scène qui se situe après deux ans d’école allemande, donc au milieu d’une évolution qui impliquait une nouvelle réglementation de la parole, et en conséquence un partage net des significations et des valeurs des deux langues, a bousculé momentanément mais brutalement un équilibre retrouvé, a dramatisé à nouveau le rapport des deux langues, et a donné consistance imaginaire par l’intervention d’une sorte de mise en scène à un effet de répétition, qui n’a cessé de briser les périodes d’apaisement des relations de K. avec les langues et les domaines qui se greffèrent sur celles-ci.
OooooCette scène eut d’abord le sens d’un retour du passé qui venait inverser le cours logique de la traversée des langues, de la langue maternelle à une langue paternelle et culturelle. D’où la tentation d’un retour en arrière, d’un retour à un lien maternel, qui était aussi retour à une identité plus originelle, plus authentique, plus propre au sujet. Il s’agissait donc aussi de la retrouvaille d’un objet perdu, qui se présenta sous la forme d’un « objet » linguistique : un alphabet. Mais cette retrouvaille fut illusoire, puisque l’alphabet ne fut pas utilisé et disparut rapidement, ne faisant que montrer sa disparition. Les deux langues se montraient ainsi d’accès difficile ou impossible: renoncement au français, du moins comme langue écrite, poursuite difficile, aride, de l’apprentissage de l’allemand.
OooooMais la structure fantasmatique de la scène mérite d’être soulignée. Il s’agit du surgissement sans que K. s’y attende, d’une écriture du passé, tracée d’une manière bien visible sur un panneau de la classe. L’émotion qui étreignit K. manifesta son déchirement dans le temps : l’espoir et le souhait violents du retour de cette langue à l’école et donc peut-être dans son nouveau milieu, et bientôt 1e désespoir d’une attente qui figea cette écriture dans le silence et l’oubli, comme si la réapparition sous cette forme de relique devait authentifier sa mort. Mais cette réapparition avait aussi quelque chose de l’ordre d’une « apparition » : quelque chose entra dans le champ du visible, qui ne devait plus y avoir sa place, quelque chose qui ne fit que passer, comme pour mieux souligner sa disparition et son appartenance à un « autre monde ». Mais quelque chose de terriblement tentant qui montra ce qui avait été douloureusement perdu, et peut-être aussi ce qui avait été « abandonné », donc « trahi », et qui demandait peut-être effort et courage pour le garder. Enfin, passé inaperçu aux yeux des autres, cet alphabet pouvait n’avoir été qu’un mirage.
OooooCette séquence d’un parcours apaisé dans un domaine de connaissance, troublé tout-à-coup par le surgissement fugitif d’une autre écriture, ne cessa de se répéter, rappelant ce qui avait été perdu, et qu’il eut peut-être fallu garder c’est-à-dire protéger, entretenir, cultiver), et rappelant que le nouveau domaine autorisé demeurait étranger, et réprimait une parole plus personnelle et plus vraie. Comme si en se détournant de cette écriture originelle, K. continuait à être hanté par son fantôme. Ainsi, dans tout le réseau des domaines qui se déployèrent autour des deux langues, persista le conflit plus ou moins manifeste d’un langage officiel. dominant et étranger, et d’un langage perdu, regretté, interdit, et présent d’une présence fantomatique.
IV. GÉNÉALOGIE DES LANGUES ET DES DISCIPLINES
OooooVoyons maintenant comment diverses disciplines auxquelles K. s’intéressa durant ses études s’organisèrent autour des trois langues: le français, le dialecte alsacien et l’allemand, déplaçant les problèmes de K. avec ces langues.
OooooQuoique langue maternelle, donc langue de l’origine la plus corporelle, et langue du lien primordial, langue en quelque sorte ombilicale, le français se vida peu à peu de toute affectivité, de toute corporéité et de toute subjectivité singulière. A la limite le français perdit ses caractères de langue pour s’identifier à un système formel. En effet, comme langue maternelle, la matérialité du français avait été précocément refoulée, pour exercer ses effets dans l’inconscient. De plus, durant la guerre, le français signifia la perte du lieu de naissance et de l’origine, et pour finir, la perte du corps, qui avait de plus en plus à se parler allemand dans le monde hors de la famille. Enfin le français fut « réappris » plus tard essentiellement comme écriture à travers ses règles orthographiques et grammaticales. Il eut alors le rôle de « refouler » l’allemand qui avait pris corps a travers ces difficultés d’apprentissage; 1e français devint ainsi le système des règles de la communication. Paradoxalement, en dépit du fait que ce fut la langue que K. maîtrisa et utilisa le plus, le français s’identifia moins à la pratique de la communication, qu’à un système de règles de la communication, c’est-à-dire à la limite à une métalangue, ou une linguistique générale, ou même à une logique.
OooooAinsi dans la « généalogie » du système culturel de K., la linguistique, la logique et les mathématiques dérivèrent du français, et constituèrent à la fois le refoulement de la langue maternelle par la formalisation et la visée d’universalité, et le triomphe de celle-ci, puisqu’à travers ces sciences qui s’originèrent en elle, la langue maternelle s’affirma comme la matrice de toutes les sciences de maîtrise.
OooooC’est le dialecte alsacien qui prit finalement la place d’une langue maternelle, en tant que langue maternelle des origines de ce lieu d’exil, et langue maternelle du père. L’alsacien devint le symbole d’une langue de communication facile, directe, immédiate, le symbole d’un accord entre la pensée et la pratique, d’une cohérence de sa vie avec ses origines, d’une proximité du corps et de la parole. L’alsacien n’avait pas à se constituer en système, demeurant une pure pratique verbale. Il n’y avait pas à chercher la « clé » de l’alsacien dans une quelconque « alsaciennité », l’alsacien se fondait dans le simple fait d’être né là, parmi les autres. Il n’y avait donc pas non plus de contradiction dans l’alsacien, entre l’espace et la langue.
OooooL’alsacien comme langue maternelle, c’était aussi le retour à la langue maternelle du père, qu’il avait vue lui aussi déclassée et même déchue. Se révélait ainsi le lien très ancien des problèmes linguistiques de K. avec ceux de son père. En se dévoilant comme langue maternelle du père, l’alsacien n’avait pas à avoir de descendance linguistique, puisque c’était l’aboutissement de la question sur la communication avec le père. En retrouvant le français sous la forme de l’alphabet, c’était donc aussi le refoulement de la langue maternelle du père, qui était signifié à K., ce qui ne pouvait manquer de marquer l’écriture en tant que telle.
OooooQuant à l’allemand, en tant que langue étrangère et matière principale des premières années d’école, il se pré enta d’une part comme système de règles grammaticales, et d’autre part comme système phonétique particulier, qui soulignait son extériorité, mais aussi son unité et son homogénéité. Sa matérialité ne pouvait être refoulée parce qu’elle se rappelait à la bouc e et à l’oreille; elle fondait donc une corporéité qui résistait à toute signification. L’allemand s’opposait donc au français par ses caractères accentués de langue. Si le français tendait vers un système formel, l’allemand se présentait comme une langue pure. Si le français se dénudait jusqu’au silence d’une écriture logico-mathématique, l’allemand au contraire se rapprochait de la rhétorique et de la poésie, c’est-à-dire des domaines de déploiement de la langue à partir de sa sonorité et de son rythme.
OooooLa compétence en français reposait sur le raisonnement et l’abstraction ; elle menait au savoir comme maîtrise d’un domaine. En allemand la compétence mettait en jeu l’aisance dans la pratique de la parole, et la beauté du style dans l’écriture.
OooooDans la généalogie des disciplines à partir des langues dans l’imaginaire linguistique de K., la littérature était fille de l’allemand, ainsi que ces sciences de la littérature que sont la poétique, la rhétorique et la stylistique.
OooooIl y avait cependant une autre question à laquelle se heurtaient les fantasmes de maîtrise de la langue, c’était la question de ce qui fondait la spécificité d’une langue, la question du signifiant et du signifié qui auraient rendu compte de sa matérialité, et qui auraient donné sens au non-sens du son spécifique d’une langue. Posséder réellement une langue nécessitait aux yeux de K. l’accès à cette signification première, qui aurait en quelque sorte légitimé la singularité phonétique d’une langue. Pour l’allemand, il s’agissait de la signification de 1a « germanité », comme « essence » de l’allemand. Cette signification inconnue gardait quelque chose de mystérieux et d’énigmatique et suggérait une sorte d’initiation. C’était la clé qui permettait d’ « entrer » dans l’allemand.
OooooPar rapport à toutes ces disciplines qui se référaient aux langues, K. s’intéressa durant une période de ses études, à l’astronomie. C’était une science qui ne se référait à aucune langue, qui se situait au-delà des langues, qui induisait l’imaginaire d’un espace et d’objets «purs», non englués dans les langues. A travers cette « discipline », qui malgré sa rigueur mathématique se démarquait par rapport à ce qu’une « discipline » impliquait d’ordre généalogiquement fondé, K atteignait un domaine sans origine légitimée dans la parole. Ce que signifiait l’astronomie d’étrangeté absolue, d’espace sans pesanteur, d’ « information » par la lumière, symbolisait une libération des contraintes et de la pesanteur des langues. L’astronomie représentait donc, malgré toute sa complexité mathématique et technique, l’enfant illégitime, « naturel », indifférent à la filiation des langues, et à la hiérarchie des autorisations de parler, la négation en quelque sorte de cette genèse purement verbale de l’humanité : « Au commencement était le Verbe! ».
OooooLes questions soulevées par cette observation, malgré sa singularité, sont nombreuses. Il s’agit d’abord d’un problème de bilinguisme sous-tendu par un conflit culturel. Le problème existe sous des formes plus ou moins dramatiques dans le cas des minorités linguistiques écrasées par une langue dominante importée par l’histoire ; il existe aussi sous une forme plus discrète dans la relation de certains dialectes à la langue culturelle. Ces conflits de langues s’imposent à l’enfant dès l’entrée à l’école, et peuvent influencer d’une manière décisive toute sa relation à l’école, aux études, au savoir, à la culture, etc. De plus ces conflits se « névrotisent » par les significations inconscientes que prennent les langues selon l’histoire familiale du sujet. Il va de soi que ces conditions linguistiques interviennent dans « le droit à la parole », ou dans « l’autorisation de prendre la parole », que chaque sujet élabore imaginairement à partir de la loi impliquée dans le langage.
OooooMais peut-être ces problèmes de bilinguisme révèlent-ils certains effets essentiels de l’acquisition du langage, renforcés par la scolarisation. Il y a en effet trois niveaux d’ « apprentissage » de la parole : 1. l’acquisition du langage, qui n’est pas exactement un « apprendre », mais une prise dans le langage, c’est-à-dire en fait dans la langue maternelle. Mais le langage s’ignore alors comme langue, il est nomination, appel, expression, jeu, demande ; 2. la reprise de ce « parler » maternel à l’école, à travers l’écriture, la grammaire et les « exercices » qui visent à une parole correcte, et même référée à des « valeurs » de la parole ; 3. l’apprentissage d’une langue étrangère, dont on découvre à peine la complexité des problèmes pédagogiques qu’il met en œuvre.
OooooCes trois niveaux de saisie du langage, qui aboutissent finalement à l’enracinement de la parole dans la langue, et à la limite à l’autorisation et à la réglementation de la parole par la langue, induisent en général deux modes d’imaginarisation des relations entre langue et parole. D’une part la langue comme système de règles, et combinatoire d‘éléments, qui fonde la pratique de la parole, ne serait-ce qu’à un niveau fantasmatique, comme « compétence » et « performance » ; d’autre part la langue comme matérialité sonore ayant sa spécificité, qui réfère la parole à la « pureté » de l’articulation, la « justesse » du ton, la régularité de la rythmicité, etc. Dans ces deux appréhensions imaginaires du parler, il y a plus que la distinction du code et du message, ou de la réception et de l’émission, puisqu’il s’agit d’un côté de la maîtrise et du savoir de la langue, dans tout son déploiement possible comme système fini d‘éléments mais combinatoire infinie, où la langue se présente comme un « objet complexe » à saisir, et de l’autre, du sujet parlant, s’entendant parler, c’est-à-dire se situant toujours par rapport à une maîtrise pratique, quasi-corporelle, de la musicalité de la langue. A partir de l’approche lacanienne, on pourrait dire que la langue imaginarisée comme système tient lieu de l’Autre, de sorte que la connaissance de la langue répond au fantasme du savoir de l’Autre, de la maîtrise de l’Autre. Quant à la langue comme matière sonore, elle répond au fantasme de la production de l’objet a, à travers la pratique « pure » de la langue, où est signifié en quelque sorte de corps de la langue dans sa pureté. Les deux fantasmes se conjoignent pour établir la continuité de l’A et de l’a, dont la parole du sujet témoignerait.
OooooAinsi nous avons vu que dans l‘Imaginaire de K., ce qui manquait à l’allemand comme système, c’était l’élément qui rendrait compte de la spécificité sonore de l‘allemand. le signifiant qui donnerait sens à la « germanité » de l’allemand et qui constituerait la « clé » de la singularité de l’allemand comme système, par rapport à d‘autres systèmes. La réponse en quelque sorte à la question: qu’est-ce que ça veut dire de parler « allemand » ? Qu’est-ce qu’on découvre de son identité de sujet parlant, et qu’est-ce qui se dévoile de ce que l‘on dit, quand on parle allemand ? Que veut dire cet allemand, qu’on ne peut s’empêcher de dire, qui est inévitablement dit, dès que l’on parle allemand? Certes, K. comme enfant ne s’est pas posé ces questions sous une forme aussi précise. mais toutes ces question et tous ces fantasmes sur son identité par rapport à l’allemand revenaient à cette question.
OooooCette question qui signifiait le point extrême des fantasmes de maîtrise de la langue, débouchait donc sur une limite: l’impossibilité de la maîtrise totale de la langue, si ce n’est en faisant corps avec elle. Mais dès lors elle gardait un « corps » étranger, dépourvu de signification, par lequel on ne pouvait que se laisser entraîner. Et à la limite pour « saisir » ce corps, il fallait le dégager de toute signification, de tout voilement par le sens. C’est là que le sujet dans sa relation à la langue s’arrêta, sur le fil du rasoir entre la maîtrise et la folie. Maîtrise dans les efforts de formalisation visant à réduire et à épuiser ce qui ne peut être signifié dans le retournement incessant de la langue sur elle-même ; folie dans l’émergence de la pure matérialité des signes. Dans ces modes extrêmes du rapport à la langue se dévoile la potentialité structurale de la folie dans la parole en tant que telle.
OooooUne autre question soulevée par notre exemple est celle de l’effet imprévisible et à long terme sur les divers domaines de connaissance, de ce réenracinement de la parole dans la langue. En effet, tout domaine, même celui qui se veut réduit à la simplicité de propositions logiques et scientifiques fondées, constitue son lexique et sa syntaxe, qui finissent par s’imposer à toute proposition qui s’inscrit dans ce domaine. Des règles non-dites ordonnent la validité des propositions, non seulement du point de vue de la théorie qui fait loi, mais aussi du point de vue d’une « forme inconsciente », à partir d’une matérialité signifiante implicite qui détermine le « ton », le « rythme », le « style » et peut-être 1e choix phonique des mots employés. Des assonances secrètes s’imposent ainsi à tous ceux qui « communient », si l’on peut dire, dans la pratique de tel ou tel domaine. Il s’agit là d’une conséquence de la prédominance du signifiant et de la tendance de l’imaginaire à sauter la barre qui sépare le signifiant du signifié. Il y a toujours un « style » d’un système, qui dépend peut-être de l’incontournable « poésie » qui s’infiltre dans tout discours et constitue le retour du refoulé de la jouissance de la parole.
OooooPour conclure, nous dirons que même si le cas que nous avons présenté doit être envisagé dans sa singularité, il montre néanmoins à travers un conflit de langues, l’importance de l’investissement de la parole en tant que telle dans toute « psychologie » qui part du principe du sujet parlant. Cette observation en effet montre la fécondité des approches lacaniennes, puisqu’elle illustre différents modes d’imaginarisation du Symbolique incarné dans les langues et les systèmes.
OooooElle montre que le « parlêtre », sujet du corps perdu, cherche le corps dans la langue et donc le corps de la langue, comme lieu mythique de la jouissance de l’Autre.
OooooSi le terme de « dissonance » est souvent employé pour signifier le « désaccord », la « dysharmonie », les différences de « ton » dans les relations verbales, ce n’est pas seulement à cause de la facilité de la métaphore, mais c’est aussi parce que le son est rééllement la « matière première » de l’accord. Ce qui ouvre le champ (écartons un jeu de mot trop facile!) de la dissonance. Autrement dit, qu’est-ce qui « grince » de dissonance irréductible dans toutes les formes de la dissidence ? Qu’est-ce qui, tout-à-coup, se désaccorde,… ou résonne ailleurs?
Jean-Pierre BAUER, L’enfant et les langues, à propos d’un cas de bilinguisme.
In. Enfance, tome 32, n°3-4, 1979. pp. 195-205.
Disponible chez Persée.
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